lundi 13 janvier 2014

De l'autre coté du fleuve

Le silence de la nuit règne encore sur la ville lorsque nous nous réveillons. Les yeux brouillées par le sommeil, je descends en titubant le petit escalier abrupt de l’appartement. Un grand bol d’eau sur la tête m’aide à sortir de ma léthargie. J’enfile mes vêtements dans le désordre et avale une tasse de café froid.  Ce matin nous partons en visite sur le terrain. Nous hélons un taxi qui passe dans la rue endormie. Quelques minutes plus tard nous sommes sur l’embarcadère, billets en main, après avoir réveillé le fonctionnaire préposé aux tickets pour étrangers. Pas de remords puisque le bougre les vend dix fois plus chers qu’aux birmans et que tout le profit est reversé directement au gouvernement. Sur le pont sale et odorant du ferry qui traverse la rivière pour aller à Dhalla, les vendeurs déambulent à la recherche du bon acheteur. Des pyjamas imprimés Angry Bird. Super, je prenais le bateau exactement pour m’en trouver un.  Je ferme les yeux et me laisse bercer par le mouvement du fleuve et le ronronnement régulier des moteurs.

De l’autre coté, nous nous entassons avec des birmans dans un taxi pour notre première destination : Dedaye. Une fois la voiture pleine – compter dix personnes avec le chauffeur –, le chauffeur fait sa prière et nous démarrons. Quelle idée géniale j’ai eu de me mettre à l’arrière. Mettre autant de distance que possible entre le pare brise et moi. Le fou roule à tombeaux ouverts sur une route complètement défoncée, criblée de nids de poules. Au Myanmar, il faut fortement dévaluer ses standards de sécurité. Ou prendre du valium. J’essaye de dormir, je préfère ne pas voir ça. Je prie pour ne pas être réincarné en un animal trop stupide. Il klaxonne sans arrêt pour se frayer un chemin entre les voitures et camions qui n’avancent pas assez vite à son goût. Les amortisseurs à lamelles claquent contre le châssis dès que nous passons au dessus d’un trou, c'est-à-dire très souvent puisque notre Michel Vaillant à décidé que ce serait sans doute plus rapide d’aller tout droit. Raisonnement cartésien infaillible.

Une heure plus tard nous descendons avec soulagement du vieux break. Nous allons à pieds chez nos amies qui nous attendent avec un petit déjeuner de rois. La politesse voudrait que nous mangions sans retenue mais nous savons combien leurs ressources sont. Avec ce qu’elles ont dépensé pour ce repas, elles auraient pu nourrir les vingt filles pendant une journée. Nous sommes trois. Après avoir pris des nouvelles de tout le monde, nous reprenons notre route. Sur le ponton boueux, nous expliquons à celui qui sera notre chauffeur où nous voulons nous rendre. Nous embarquons à bord d’une vieille barcasse qui  gîte au moindre changement de position. Autant rester au fond et ne pas trop bouger. Après avoir longé la berge du fleuve pendant quelques temps, nous nous engageons dans un petit bras affluent qui nous donne l’accès à un réseau tentaculaire dans lequel notre barreur semble se repérer sans problème. La marée basse fait que le niveau de l’eau devient de plus en plus faible au fur et à mesure que nous approchons de notre destination. Nous accostons finalement. Tel Christophe Colomb arrivant sur un rivage inconnu, je saute à terre. Je m’enfonce jusqu’aux genoux dans la vase. Echec. Mes ardeurs conquérantes se voient englouties dans cette glaise à l’odeur nauséabonde.

Les enfants sont adorables. Quelques tours de magie nous confèrent immédiatement un statut de grands frères géniaux. Merci Naing Naing pour tes leçons ! C’est dimanche et les enfants n’ayant pas école, ils jouent au soleil dans la cour. Nous leur apprenons à jouer à la tomate. Que de rires ! Nous partageons le déjeuner avec nos amies. Elles nous racontent un peu leur quotidien et nous présentent leurs besoins. Ils sont réels. Voir un tel dévouement à la tâche qui leur est confiée est touchant. Elles ne gardent rien et donnent tout. Sans attendre aucune récompense.

Le soleil poursuit sa course dans le ciel azur. L’endroit et paisible et l’on aimerait y rester. Malheureusement, nous devons déjà partir car la route est longue. Même scénario qu’à l’aller, après une heure et demie de pirogue, nous nous entassons dans un taxi. Une heure plus tard le chauffeur s’arrête sur le bas coté. La roue arrière droite est crevée. Un birman dont le t-shirt disparait sous la crasse et la colle tente de réparer le pneu endommagé… en y enfonçant une énorme aiguille. Une demi-heure plus tard, l’opération rustine est au point mort et l’horizon se colore de teintes pourpres orangées. Il nous faut nous hâter pour prendre le dernier ferry. Après quelques gesticulations depuis le bord de la chaussée, un pick up s’arrête et nous permet de monter dans la benne. Nous sympathisons avec nos aimables compagnons de voyages et nous nous faisons inviter pour le diner. Le repas pris sous les regards de toute la famille, nous nous dirigeons vers le bateau. Esprit révolutionnaire oblige, nous utilisons les même tickets qu’à l’aller où sont minutieusement écrits nos noms : Iron Man, Bob l’Eponge et Captain America. Les cases sont remplies, la caravane passe.

Sur la rive d’en face, quelques grues s’élèvent entre les piles de conteneurs et s’illuminent sous la lumière chaude des projecteurs, envoyant leurs reflets colorés sur les eaux calmes du fleuve.




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